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Les forêts sont en danger. Alors qu’elles représentent une source majeure de captation de CO2 et un espace unique pour la biodiversité, le risque est grand de les voir progressivement disparaitre : un marché du bois devenu totalement mondialisé, une standardisation des essences qui a appauvri la biodiversité des forêts -des forêts que l’on a préféré adapter aux besoins des scieries industrielles plutôt que d’opter pour une gestion soutenable de la ressource. Dans ce contexte, le rôle des collectivités locales pour est crucial. C’est pourquoi communauté de communes du Clunisois, qui porte un projet de transition écologique de tout son territoire, a fait de la gestion soutenable de la forêt un objectif central.

Le problème, c’est qu’il s’agit d’un enjeu complexe, aux nombreuses interdépendances (du local à l’international, des enjeux économiques et d’emploi aux enjeux écologiques, culturels et sociaux), objet d’une gestion atomisée entre les nombreux propriétaires et exploitants de la forêt, et dans lequel une grande diversité de rôles, de points de vue et d’expertises co-existent sans converger : ceux des propriétaires privés, ceux de la puissance publique et de l’Office national des forêts, ceux des exploitants français et étrangers, ceux des élus locaux, mais aussi ceux des habitants ou encore des usagers ponctuels de la forêt, tels que les touristes. Comment faire davantage coïncider toutes ces expériences et toutes ces expertises, dans l’optique d’adopter collectivement une gestion plus durable des forêts ?

La Communauté de communes du Clunisois anime déjà une commission d’élus sur le thème du bois et de la forêt. Mais l’hypothèse que nous faisons est qu’il conviendrait d’ouvrir cet espace politique bien au-delà des seuls élus référents et experts de ce thème. Pour éviter la « mise en silo » du sujet, nous avons proposer de nous inspirer du format de la “non-conférence” ou “forum ouvert” conçu comme un temps qui permettrait à la fois de fournir un cadre adapté à ce partage d’expériences entre pairs, et de mieux identifier les expertises sur-représentées, et celles qui au contraire font défaut, en vue d’y remédier. Le test a pris la forme d’un événement de 2h30 organisé le 10 novembre 2021 à Cluny pendant le séminaire « Quelles transitions pour nos communs », organisé par le Collège Européen de Cluny pendant 3 jours.

Le test visait à valider ou invalider plusieurs hypothèses : vérifier si ce format permet aux élu.e.s d’échanger “sans filtres” de nouveaux types de connaissances empiriques, tirées d’expériences vécues, de solutions apportées à des problèmes rencontrés ; Vérifier si ce format pourrait permettre d’identifier les expertises déjà présentes au sein d’un groupe d’élus, et au contraire celles qui semblent manquer ; Tester si ce type de format pourrait contribuer à mieux mobiliser l’énergie des élu.e.s au profit du projet de territoire.

Environ 20 élus membres de la comcom de Cluny et 6 agents ont participé à la non-conférence. Au cours de la première demi-heure, les participants ont proposé des thèmes d’échanges, qui ont été regroupés autour de 6 thèmes : les haies, le bois de chauffage, les métiers du bois, la gestion du bois, les forêts privées, la forêt comme enjeu de tourisme et de loisirs. Les participants se sont ensuite répartis en 2 sessions successives de trois ateliers de 40 mn chacun, en fonction de leurs centres d’intérêts. L’événement s’est conclu par une restitution collective des enseignements issu des différents ateliers.

Les enseignements sur le fond et sur la forme

De nombreuses expériences ont été échangées, avec des dominantes autour des questions d’ingénierie forestière, d’agroforesterie, etc. La présence d’environ 1 technicien pour 4 élu·es s’est avérée décisive. Les élus présents connaissaient bien les enjeux forestiers. L’expérience a également révélé que sur certains thèmes, des formes d’expertise manquaient aux échanges, par exemple sur la gestion/ gouvernance des ressources forestières (notamment sur de nouvelles approches de type partenariat public-communs pour la gestion de ressources naturelles). Sur certains thèmes comme les mécanismes de transition dans la gestion des forêts, on pouvait noter un déficit d’approches réflexives et critiques : par exemple le concept de re-direction écologique, qui propose une alternative plus radicale que la transition (par exemple en décidant collectivement à quelles activités extractives il faut renoncer dans l’exploitation du bois, pas seulement des nouvelles activités forestières à développer).

Les points positifs : Les élus qui participaient pour la première fois à ce type de format ont apprécié le format d’échanges pair à pair, et l’approche thématique qui permettaient de « dé-siloter » les enjeux. L’important travail de documentation par les étudiants a permis de conserver une trace des échanges, qui pourra être exploitée ultérieurement.

Les points d’amélioration : pour les participants qui avaient déjà participé à ce type de format, nombreux à Cluny, la non-conférence a été présentée et conçue comme un format trop générique qu’il aurait fallu adapter davantage à la situation du territoire clunisois, en resserrant la thématique et en verrouillant certains principes : être plus clair sur le sens de cette session par rapport au contexte clunisois, prévoir une séquence de mise en contexte sur le thème traité (ici le bois), prendre le temps de mieux « caster » les participants en fonction du thème et prendre le temps de mieux les présenter au début, renforcer la facilitation et donner des consignes d’écoute et de temps de parole pour éviter que certains accaparent les échanges, mixer des participants plus hétérogènes (y compris d’autres territoires), s’assurer de la qualité du niveau technique des échanges dans tous les ateliers,mieux répartir les participants entre les ateliers, passer plus de temps sur les questionnements issus des ateliers et moins sur les restitutions, être plus explicite sur les suites prévues pour éviter les frustrations.

Ce qu’ils en ont dit

“L’exercice est super intéressant pour révéler les connaissances de chacun. Le fait que ça parte « dans tous les sens » sans animation structurée est aussi vraiment pas mal parce que les fils se tirent et tu ne sais pas où ça va te mener.” (Alexis Montaigne CERDD)

“Poser un cadre minimum pour les amener à s’interroger sur ce qui fait enjeu et la manière dont les enjeux devraient être traités me semblerait intéressant. Qu’ils sachent qu’il est attendu d’eux de produire un plan d’action/une feuille de route/une organisation de travail pour l’après.” (Alexis Montaigne CERDD)

Et maintenant ? Quelques conseils pour reproduire l’expérience et l’améliorer

L’expérience a été perçue comme un peu descendante, et a montré qu’il faut absolument penser la périodicité et le rythme de ces sessions sur la durée, en fonction de la stratégie du territoire, sous peine de risquer de lasser les élus, de les mobiliser trop souvent et sans souci de canaliser leur contribution sur la durée. Il faut construire cet agenda collectivement, avec eux, en prenant soin de les mobiliser au bon moment, de la bonne façon et pour les bonnes raisons.

Des suites immédiates pourraient être données à cette expérience : en premier lieu, mettre en forme et restituer aux élus (y compris les absents) les notes prises par les étudiants ; Ensuite, recenser les thèmes d’expertises qui semblaient manquer aux échanges, en tirer des enseignements pour le projet de territoire (sur les modalités concrètes de gouvernance des ressources naturelles, sur les nouvelles thèses liées à la transition comme la “redirection écologique” et le renoncement, etc) et programmer des interventions prochaines sur ces sujets. Enfin, les échanges portaient sur la situation présente de la forêt clunisoise ; pourquoi ne pas programmer un temps de projection/simulation à 20 ans de type “prospective créative”, pour imaginer les solutions futures à mettre en œuvre dès maintenant ? Cette mise pourrait être mise en oeuvre à l’occasion des prochaines « assises de la forêt » que la Communauté de communes envisage de proposer prochainement à toutes les parties prenantes des enjeux de la forêt.

Auteur : Stéphane Vincent (Délégué général à La 27e Région)
Illustration : Jeanne Schelle