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Les élus en charge des questions de transition ont besoin “d’embarquer” avec eux tous les acteurs de leur territoire

L’approche  par la maquette a permis une grande richesse d’échanges et donné lieu à une vraie exploration de la fonction et du quotidien des élus. Nous étions venus parler de formation mais nous avons appris beaucoup de choses sur le vécu et la réalité de la marge de manœuvre d’un élu au sein d’une équipe municipale, dans un écosystème d’acteurs, un territoire. La méthode d’enquête par la maquette, issue des méthodes du “design centré usager”, nous a permis de nous concentrer sur les besoins des élus et a confirmé leur importance et
leur diversité !

Ces entretiens ont mis en relief l’importance de la personnalité et de la dimension humaine de la fonction. Il y a mille manières de porter et d’incarner l’écharpe selon le temps que l’on peut consacrer à son mandat, sa proximité à la technicité des sujets, son ancienneté … mais aussi selon la personnalité de l’élu et son poids dans le collectif municipal … (“c’était plus facile de prendre des risques quand j’étais maire et pas adjointe”).

Le sujet de la transition place les élus qui en ont la charge dans une obligation d’argumentation et de leadership à construire et outiller, par sa technicité et sa transversalité, par les risques et incertitudes qu’il peut inviter à accepter, par les choix budgétaires qu’il peut conduire à supporter… Nombre d’entre eux ont ainsi évoqué la nécessité d’embarquer avec eux : leurs collègues élus pour obtenir des décisions du conseil municipal ; les techniciens des services pour mettre en œuvre les projets, de la collectivités mais aussi des syndicats de service qui opèrent pour les petites collectivités ; les habitants pour qu’ils s’impliquent et s’intéressent à la vie de la cité.

Cela suppose une capacité de conviction, d’argumentation sur laquelle plusieurs d’entre eux ont insisté, un besoin qu’ils sont allés combler dans des formations à la prise de parole en public par exemple, ou même de “communication non violente”. Demande d’aide à la construction d’argumentaires solides, de dispositifs pour créer de l’émulation et du collectif, de compétences techniques pour dialoguer avec les services, de mise à disposition d’exemples inspirants apportant la preuve de l’existence de solutions à portée de main…, les besoins sont en fait multiples.


À quoi ressemble une formation qui permet de constituer de la coopération ? 

Dans notre article précédent : Transitions, ça vous parle ? , nous faisions état de nos intuitions de la phase de veille : Et si ce qui était en transition, c’était le rôle des élus? Et si la transition passait par de nouvelles gouvernances ? Et si on allait vers des approches coopératives, dans lesquelles l’action publique s’articule avec les autres acteurs (locaux, privés …). Florilège de premières pistes, à chaud …

Lorsque nous avons entendu les élus formuler le besoin de “convaincre” et “d’embarquer”, de “dé-siloter” les services techniques, nous avons aussitôt nourri des idées de dispositifs à destination d’un groupe, ou qui permettrait une coopération. Comment former ce
collectif ? Comment faire en sorte que ce groupe ne soit pas que le club des convaincus, et entraîner les élus d’autres délégations (budget, participation, etc.), voire l’opposition ? Une élue témoignait : “Si je dois m’entourer pour un projet, j’appelle ceux avec qui ça marche déjà, quelques élus des communes voisines et des associations avec qui j’ai l’habitude de travailler”. Quels outils fournir à une élue ou un élu qui veut construire une dynamique collective ?

Des pistes pour construire la transversalité ont été évoquées. Adapter une Fresque du Climat au territoire pour construire une vision partagée et concrète des interdépendances entre les enjeux ? Et dans le même mouvement, entre les portefeuilles des élus ? S’inspirer des “classes d’eau” d’un syndicat de rivière évoqué par une élue : “on réunissait théorie et pratique, élus et techniciens sur un même sujet, c’était concret” ? 

Il nous apparaît dans tous les cas, qu’il faudrait un espace abrité, qui permettrait de poser sa casquette et d’échapper aux “effets de postures”. Et si, le rôle des élus à la transition écologique (ou au développement durable) était de participer à faire évoluer l’organisation autour de lui ? Pour faire alliance, pourrions nous imaginer des modules pour “faire un pont” : Transition et Finance ou Transition et Développement Économique ? Chacun se mettrait à la place de l’autre.

Il y a des enjeux démocratiques derrière ces constats. Nous avons beaucoup entendu que le/la Maire devait être inclus dans la formation, sans quoi il serait impossible que les projets avancent.  Mais paradoxalement, ceux qui ont le plus de poids ont le moins de temps !


Mais… “On n’a pas le temps !” – la tâche est immense et on ne peut pas faire cela sans vous 

“Le temps, c’est ce qui manque le plus aux élus. On court après le moindre petit bout de temps disponible. Il faut être à fond en permanence et pour celles et ceux qui ont une vie professionnelle en parallèle d’un mandat, c’est vraiment intense.”

Cette enquête nous a permis de constater de grandes différences entre les élus. Certains, retraités disposent de plus de temps quand les actifs en ont très peu. Selon leurs professions, leur mandat a aussi des impacts plus ou moins forts sur leurs capacités à dégager du temps. Par exemple, des élus qui exercent en libéral pourront dégager davantage de temps mais ce temps représentera une perte de rémunération puisqu’il s’agit de temps “non travaillé”, d’autres élus salariés posent des jours de congés qui sont autant de jours dont ils ne profiteront pas avec leurs proches. Il faut également évoquer le cas des nouveaux élus (50% de l’exécutif dans certaines collectivités) qui doivent souvent se débrouiller seuls pour comprendre le fonctionnement basique de l’administration, avec plusieurs temps de retard derrière les élus chevronnés. Enfin, comme évoqué précédemment, certains élus salariés demandent régulièrement des jours sans solde à leur employeur, ce qui représente également une perte de rémunération, du temps non cotisé alors qu’ils/elles exercent une activité pour le collectif. Leur engagement n’est donc pas uniquement temporel mais aussi financier et a des conséquences directes sur la sphère privée.

Toutes ces difficultés devraient encore s’accentuer durablement avec le désordre et les retards multiples occasionnés par la pandémie. Face à ce constat, il paraît impossible de demander aux élus de se mobiliser 5 jours consécutifs pour une formation. Il nous faudrait envisager des formats conçus à partir de leurs disponibilités : des formations égrenées dans le temps par exemple des immersions concentrées sur 2 jours, sur plusieurs samedis consécutifs ou sur des horaires décalés. On pourrait aussi imaginer des formats sous la forme de grands rendez-vous ou de conférences en local mais avec des intervenants venus d’ailleurs pour leur présenter des exemples inspirants. Au-delà des formats, certains élus se disent que devant la complexité des enjeux de transition il serait bon d’inscrire la nécessité de se former plus en amont, par exemple au cœur des chartes d’élus, des feuilles de route et des plans administratifs.

Notre enquête nous a également montré l’importance de l’échelle locale et notamment communale. Les élus veulent faire sur place et agir sur leur territoire ou en proximité avec celui-ci. “C’est la réalité de notre échelle, là où nous avons de l’impact.” Les propositions de formation “au-delà des frontières”, jouent, de façon ambiguë, presque le rôle de repoussoir. “Non merci les voyages aux quatre coins de l’Europe pour s’inspirer, on préfère aller voir ce qui se passe près de chez nous”. Pour autant, les élus plus expérimentés y voient, eux, un réel intérêt pour se consolider, rapporter des exemples inspirants, fédérer. Mais l’ailleurs n’est pas toujours si loin : ce peut aussi être la commune voisine, des villes en transition en France, etc.

Les élus sont en effet plutôt favorables et en demande de moyens pour prendre du recul, néanmoins dans un périmètre proche et sans y passer trop de temps car ils privilégient l’opérationnel et les actions concrètes sur leurs territoires. “Prendre de la hauteur, c’est bien mais attention à ne pas y passer trop de temps et à ne pas être trop nombreux (acteurs). On risque de se perdre un peu, de dériver et de partir dans tous les sens. Il doit nous rester du temps pour mener les actions qui doivent l’être à l’échelle de la commune.”

Ils plébiscitent le partage entre pairs, avec les élus des communes avoisinantes ou de leur intercommunalité et soulignent la volonté de travailler avec les voisins, avec des territoires proches des leurs qui ont des situations transposables. “Échanger avec les communes voisines, c’est très important car ça nous permet de partager nos expériences, de créer des liens et de mettre en commun des projets.”

Sur le plan des formats, les élus insistent sur la nécessité de ne pas tout faire en distanciel. “La relation avec les autres élus est primordiale, si on veut créer du lien, il faut se rencontrer vraiment pour pouvoir bénéficier de l’apport des temps d’échanges informels, le off en quelque sorte. Et puis, c’est très intéressant de voir ce qui se fait ailleurs.”

D’autres élues nous ont confié que “le fait d’être ensemble ailleurs ça comptait beaucoup. On gagnerait plus à faire 2 jours de formation dans un lieu que l’on ne connaît pas car on va faire du covoiturage et partager 1 ou 2 repas ensemble, plutôt que de se former 4 jours dans un lieu que l’on connaît tous.” Le résultat ne serait pas du tout le même car les synergies se créent aussi pendant ces temps de partage hors formation. Une autre élue a partagé avec nous une expérience de formation vécue avant de commencer son premier mandat et qui va aussi dans ce sens. “Pendant l’élaboration du programme de campagne, mon équipe et moi sommes allés faire une journée de formation à Loos-en-gohelle. Le fait de s’y rendre en groupe nous a rapproché et permis de nous positionner sur certains sujets. Le chemin pour y aller était tout aussi important que ce qu’on a vu là-bas”.

À la lumière de tous ces retours issus des discussions avec les élus rencontrés en entretiens, nous nous demandons comment ces “états de faits” impactent les questions de formation aux transitions. Cela ne touche pas uniquement le format des formations, mais aussi et surtout, le fond. Il nous paraît impossible de construire un projet “démonstrateur” sans y consacrer du temps en équipe, sans mettre tous les acteurs autour de la table (élus, agents des services financiers ou techniques, habitants) dans une démarche de co-construction, sachant que ces démarches sont plus chronophages car elles demandent des temps de pédagogie, de débat et d’ateliers. Il nous semble donc important de remettre en corrélation la promesse des formations au regard du temps que les élus et ceux qu’ils/elles embarquent à leur côté peuvent y investir réellement, au risque de sur-promettre et d’avoir ensuite un effet déceptif de ces démarches de participation qui nuirait au travail en équipe et à l’investissement citoyen.


Comment activer les potentialités existantes des projets (mais sans tomber dans le coaching individuel ou l’AMO) ? 

Ne réinventons pas la roue. Il s’avère que les élus interrogés ont déjà de multiples manières de se former : les médias, les lectures personnelles, les réseaux  sociaux spécialisés (par exemple IdealCo), mais aussi des organismes comme l’ALEC, l’Ademe, l’Association des Maires Ruraux ou les partis politiques comme EELV. Certaines collectivités ont même des pratiques exemplaires d’auto-formation et de formations pair à pair. Comment articuler ce qui sera proposé avec ce qui existe ? Et où s’arrêter dans le sur mesure ?

Attention, en empruntant les routes évoquées plus haut, la frontière entre formation et la mission Assistance à Maîtrise d’Ouvrage s’amincit. Quand est ce qu’on aide à faire et quand est ce qu’on fait à la place de ? Qu’il s’agisse d’animation de groupe, de coaching … le mot formation deviendrait il enfermant ou au contraire nous sert-il de filet de sécurité ?

Avant d’entamer l’immersion nous avions l’idée que les formations aux transitions seraient potentiellement des formations aux coopérations. À travers les rencontres, les élus nous ont exprimé leur besoin de “fédérer autour des projets”, de “convaincre efficacement” les autres élus, techniciens, acteurs, habitants. Nous entendons le besoin d’être outillé pour construire du collectif, réinterroger sa place et posture, amener des espaces de réflexivité …

Nous allons maintenant poursuivre notre phase d’immersion : en route vers d’autres territoires et d’autres élus qui voudront se prêter au jeu d’explorer avec nous les formations fictives de nos maquettes et challenger les enseignements de cette première phase d’enquête.

 

Auteur.e.s :
Nicolas Laruelle, urbaniste, département environnement urbain et rural à l’Institut Paris Région
Anne-Claire Davy, chargée de projet Habitat et modes de vie, département Habitat et Société à l’Institut Paris Région
Mathilde François, agronome, conseil en coopérations territoriales au sein de l’agence Partie Prenante
Emeline Lavocat, designer à La 27e Région