Comment organiser une conversation entre élu.e.s et chercheur.se pour projeter un modèle de sobriété à l’échelle d’un territoire ? Cette expérimentation a été imaginée au printemps 2022, à un moment où la guerre en Ukraine et la sécheresse sans précédent de l’été n’avaient pas encore accéléré la diffusion du terme. Le test a été imaginé et piloté par Norent Saray Delabar, ainsi que Mathias Guérinneau (IAE Nantes) et Julie Mayer (Ecole Polytechnique), dont il s’agit d’une des thématiques de recherche. Comme beaucoup d’autres expérimentations, nous avons pu mener celle-ci en lien avec l’aide de l’ALEC Ouest Essone, en embarquant Pierre Chazan, élu à Orsay et membre de la Commission municipale de l’urbanisme, de l’environnement et des transports, et Marie Reyss, chargée de mission développement durable dans la commune.
Le test : une conversation entre un élu et des chercheur.se.s autour de l’enjeu de sobriété
Etape 1 : un temps pour mettre en discussion la notion
Le point de départ : le constat de la nécessité de traduire de manière opérationnelle la sobriété à l’échelle territoriale, d’en produire des démonstrateurs, mais aussi d’identifier les freins auxquels sont souvent confrontés les élu.e.s porteur.se.s du sujet : réticence politique, acceptabilité sociale variable, freins techniques, administratifs, difficultés à opérationnaliser et à mesurer les effets … Comment rendre cette notion plus tangible, et plus désirable ?
Il s’agissait ainsi i/ de partager un cadre de pensée articulant la notion de sobriété à destination d’élu.e.s de communes d’île de France et de leur territoire ; ii/ d’animer, à travers une discussion entre élu.e.s, technicien.ne.s et chercheur.se.s, des allers retours entre approche théorique et pratique quotidienne ; puis, iii/ au travers d’un arpentage du territoire, de venir questionner les projets et équipements existants au travers d’une grille de lecture sobriété. L’hypothèse initiale était de mener cet exercice en mobilisant un groupe d’élu.e.s de plusieurs territoires différents. Néanmoins, cette première itération sur le territoire d’Orsay a permis de tester des supports et contenus de formation “martyrs” et de de tenter un premier atterrissage de sujets de recherches dans le quotidien d’un élu et d’une technicienne.
Le premier volet de la journée a permis de déplier le terme, en distinguant la sobriété de de la notion d’efficacité, en ouvrant ses divers domaines d’application, au delà de l’énergie (numérique, foncier, mobilité, …), en en proposant une grille permettant de rendre lisible ce à quoi l’on renonce, ce que l’on contribue à préserver ou à développer, les enjeux de pilotage politique, etc.… et pour finir de projeter, pour les collectivités, 3 archétypes d’approches de la sobriété :
. La sobriété monitorée, basée sur une optimisation incrémentale des usages individuels, en s’appuyant sur des ‘technologies’ pour encourager le changement de comportement et en suivre les effets. (amélioration de la performance thermique bâtiments, réduction de l’éclairage public, etc.)
. La sobriété symbiotique, fondée sur la recherche d’une relation harmonieuse entre les humains et la nature, par une exploitation minimale des ressources naturelles et une recherche de synergies avec la nature. (protection/préservation d’espaces verts, réhabilitation d’infrastructures existantes au profit de projets écologiques et sociaux, valorisation des initatives de permaculture, etc.)
. La sobriété gouvernée, qui repose sur un réagencement global et planifié des infrastructures et des règles qui les gouvernent, de façon à arbitrer entre gestion maîtrisée des ressources et création de valeur. (Aménagement de voies de mobilité douce, encouragement au report modal, approvisionnement en circuit-court, …)
Pour en savoir plus : Le support utilisé est ici.
Etape 2 : un arpentage
L’étape suivante a permis de parcourir trois lieux marquants de la ville, avec l’objectif de projeter ces modèles de gestion de la sobriété sur ces infrastructures ou espaces urbains :
. L’hôpital d’Orsay, situé en coeur de ville, un équipement qui sera progressivement délaissé au profit du futur hôpital Nord-Essonne. Si la municipalité y voit une opportunité de repenser l’aménagement du centre d’Orsay, la démolition des bâtiments existants, la construction d’un nouveau quartier et la disparition d’un pôle de santé important pour le territoire interroge une partie de l’équipe municipale sur le projet à mener. Faut-il démolir pour reconstruire, peut-on proposer une offre de santé qui prolonge pour partie l’offre de service public encore présente ? Autant de question à passer sous le filtre de la sobriété : foncière, énergétique mais aussi la sobriété en ingénierie et les potentielles créations de valeurs qui pourraient découler d’un réaménagement du site hospitalier.
. Un espace naturel, situé en centre ville et aujourd’hui fermé aux habitants. Ce terrain boisé, particulièrement riche en biodiversité constitue une ressource naturelle non négligeable pour la ville d’Orsay. Au-delà d’y héberger une espèce protégée, il apparaît comme un petit poumon vert au coeur de la ville. Néanmoins, faudrait-il l’aménager pour permettre aux habitants d’en profiter directement ? Comment communiquer sur le fait que ne « rien faire » est peut-être « la meilleurs chose à faire » ?
. Le centre technique municipal, un bâtiment vieillissant et particulièrement énergivore. La rénovation énergétique de cet ensemble apparaît comme la solution la plus pragmatique à ce jour… mais faut-il réellement tout isoler, ou faire le choix d’abandonner une partie des bâtiments au profit de services mutualisés à l’échelle de la communauté de communes ?
Ce que nous avons appris…
Organiser une conversation élu.e.s /chercheur.se.s ?
Pour l’élu, le cadre théorique a permis de développer des éléments de langage, des arguments clés pour convaincre leurs interlocuteurs. Le dispositif a permis également d’animer une autre conversation avec la chargée de mission transition, et de chercher le juste rôle pour chacun. Du coté des deux chercheurs, l’approche par le terrain est venu bousculer et enrichir le cadre théorique: par exemple face à la rénovation énergétique trop couteuse d’un équipement, la question de délaisser celui-ci vient poser de nouvelles questions. D’autres thématiques sont venues bousculer le cadre théorique par des enjeux politiques très concrets. Quand la consommation énergétique des piscines explose, faut-il maintenir les séances bébé nageurs qui nécessitent de chauffer l’eau des deux bassins municipaux à des températures bien supérieures à celles nécessaires pour la pratique de la natation ? Cet exemple, très concret et très circonscrit permet de faire remonter une difficulté transverse à d’autres enjeux de transition écologiques : comment porter une ambition de sobriété, et rendre celle-ci désirable, quand elle vient heurter des usages particulièrement consensuels au sein de la population ?
Un arpentage pour projeter une approche de sobriété à l’échelle d’un territoire ?
L’enjeu, pour Pierre Chazan, s’est révélé être finalement moins la sensibilisation que la projection concrète d’une approche de sobriété à l’échelle d’un équipement, d’une compétence de la collectivité. La journée, et notamment le travail autours de la valeur créée au travers d’une approche de sobriété, a par contre souligné également son besoin d’être outillé pour convaincre les autres élu.e.s, les habitants, etc. En termes de formation, cela pose la question de comprendre et de hiérarchiser les besoins pour mieux articuler sensibilisation et capacitation.
Former un collectif d’élu.e.s inter collectivité à partir d’un territoire ‘bac à sable’ ?
Si un public mixte est intéressant pour faire un pas de coté, les élu.e.s ont besoin de bâtir des approches sur-mesure au regard des spécificité de leur territoire… voire de solution clés en main. La ligne de crête entre formation et accompagnement n’est pas facile à tenir, mais projeter une seconde édition à l’échelle du territoire d’une communauté de communes et de ses élu.e.s serait une étape de test intéressante.
Les prochaines étapes :
– Tester un module de formation V2 à partir des retours de Pierre Chazan et Marie Reyss, tout en adaptant des contenus au regard de l’évolution du contexte vis à vis de la notion de sobriété.
– Arpenter des communes avec des groupes d’élu.e.s pour mettre à l’épreuve les cadres théoriques proposés et tenter d’esquisser des solutions opérationnelles pour décliner les enjeux de sobriété.
– Tenter de dépasser la sobriété énergétique pour décadrer sur d’autres formes de sobriété et interroger plus globalement la création de valeurs pouvant accompagner les trajectoires de sobriété.
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