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De plus en plus de collectivités cherchent à enclencher des projets de méthanisation. Ces derniers se situent à la croisée de différentes politiques et objectifs environnementaux de transition : valorisation des déchets, transition énergétique, transition agro-écologique. Procédé biologique de dégradation de matières organiques en condition anaérobique (sans oxygène), la méthanisation permet en effet de valoriser des matières organiques en énergie renouvelable et de produire un résidu qui peut servir d’amendement organique ou de fertilisant pour les exploitations agricoles du territoire concerné. Bien que de tels projets puissent être portés par divers acteurs du territoire, les collectivités ont un rôle important à jouer (soutien, relais, facilitateur, financeur, etc.).

Le rôle des élus peut sembler mal défini sur ces projets souvent complexes. Sans compétence identifiée sur le sujet, leur implication est néanmoins clé et de nombreuses questions peuvent se poser : Quelle place la collectivité peut-elle prendre dans le lancement et la mise en œuvre de la démarche une fois engagée, par exemple aux côtés des agriculteurs/agricultrices ? Comment anticiper les potentiels conflits ? En quoi la méthanisation peut-elle contribuer à la dynamique économique de mon territoire ? Quel peut être l’intérêt financier d’un projet de méthanisation pour une collectivité locale ? etc.

Comment mieux appuyer les élu.e.s pour enclencher un projet de méthanisation sur leur territoire ?

L’expérimentation, engagée dans le cadre du collectif PROMÉTHA avec l’appui du projet (Dé)formations, vise à accompagner des élus d’Île-de-France à enclencher, accompagner et soutenir de nouveaux projets de méthanisation sur leur territoire, et plus particulièrement : > Les aider à mieux identifier leur rôle au travers de l’expérience de leurs pairs, ainsi que les leviers, les freins, les controverses qui caractérisent de tels projets ; > Mieux cerner leurs besoins réels de formation pour aller plus loin dans leur projet, et nourrir ainsi les propositions  du projet PROMÉTHA (animation de réseau, formations, visites de sites, voyage d’étude, etc.) ; > Identifier quel type de travail mener dans la durée avec les élu.e.s, afin de produire des impacts réels, en l’occurrence le lancement de projets concrets de méthanisation portés collectivement et adaptés aux territoires qui les initient.

Pour cela,  nous avons imaginé un dispositif d’élu.e.s enquêteurs auprès d’autres élu.e.s ayant déjà mené ce type de projets. L’objectif est de collecter de l’information ‘à hauteur d’élu.e.s’ pour identifier par exemple les leviers ou les différents rôles à embrasser (en se démarquant par exemple d’une information trop technique). C’est aussi de créer un cadre protégé pour que les élus puissent partager leur expérience avec leurs pairs y compris dans des territoires  proches ou d’échelle similaire (en permettant un changement de posture) et d’identifier les besoins d’appui au plus près de leurs situations et de leurs projet.

L’expérimentation a pris la forme d’une session d’une journée courte (9h30-15h), qui a permis à une douzaine d’élu.e.s réunis en Seine et Marne d’enquêter auprès de 3 élu.e.s porteurs de projets de méthanisation : Anne-Françoise GAILLOT (Maire de la Boissière-École – 78), Fabrice CUYPERS (Maire de Thieux – 77) et Michel DUVEAUX (VP de l’Agglo Maubeuge-Val de Sambre – 59). Les élus ont ensuite cartographié leurs apprentissages et mené le diagnostic de leurs besoins pour avancer sur leurs projets. La session était animée par Théo Klein, coordinateur du projet PROMÉTHA et chargé d’étude au sein de l’AREC Idf, et Norent Saray Delabar, designer.

Quelques enseignements sur le rôle des élu.e.s dans de tels projets…

Les retours d’expérience ont permi aux élus participants d’identifier quelques éléments et leviers marquants pour mieux construire leur rôle : > Etre pilote pour construire l’acceptabilité locale du projet. L’engagement et la conviction des élus locaux apportent un soutien primordial pour le bon développement d’unités de méthanisation dans les territoires. Les conseils municipaux doivent pour cela anticiper le dialogue avec le porteur de projet et les habitants ; la visite du site est un outil clef d’appropriation/acceptabilité. La communication préventive est la plus efficace, les craintes et les réticences peuvent être levées lorsque les conditions d’un dialogue apaisé sont réunies (compréhension des attentes des parties prenantes, posture d’écoute mutuelle, apport d’information claire sans vouloir convaincre, lisibilité du projet et de son inscription dans le territoire, etc.). Être actif dans le dialogue apporte de la hauteur de vue et des clefs de réflexion/décision (parfois mise au second plan, la concertation est pourtant un processus décisif à organiser et à valoriser). Les projets de méthanisation engendrent plus d’appréhension que les unités en fonctionnement. > Identifier l’approche de méthanisation pertinente en fonction de son territoire. Deux types d’unités bien distinctes existent : la méthanisation agricole et la méthanisation territoriale/industrielle, avec des différences de montage et d’approche (intrants, retour au sol, gouvernance, etc.). La micro-méthanisation de biodéchets semble avoir un bel avenir en territoires urbains, notamment avec l’obligation au 31 décembre 2023 de tri à la source des biodéchets. Les élu.e.s et les territoires commencent à faire le lien entre ce sujet et les services rendus par la méthanisation/micro-méthanisation. > Soigner la gouvernance :  Plusieurs modes d’implication d’une collectivité sont possibles. La collectivité peut être à l’initiative d’un projet de méthanisation sur son territoire. Dans ce cas un partenariat en Société d’Actions Simplifiées (SAS) avec une association est un véhicule juridique intéressant pour monter un projet :  il place la collectivité au même rang que les autres actionnaires (agriculteurs, gestionnaires de déchets, etc.), lui permet de participer aux prises de décisions et de bénéficier des mêmes retombées économiques. Ce type de montage offre une souplesse contractuelle (liberté accordée aux associés pour déterminer les règles de fonctionnement et de transmission des actions), ainsi qu’une structure évolutive facilitant le partenariat et de la crédibilité vis-à-vis des partenaires (banquiers, clients, fournisseurs).

La session a permis de poser le cahier des charges de sujets et thématiques plus précis à investiguer plus avant afin d’outiller les élu.e.s et de leur permettre  d’avancer dans leurs projets : initiation à la méthanisation ; organisation de la collecte et de la valorisation des biodéchets ; détails sur les montages financiers et les possibilités de subventions ; formes juridiques possibles pour monter un projet ; retour d’expérience sur les projets de micro-méthanisation…

Pair à pair, changement de posture et diagnostic partagé : retour sur les élu.e.s enquêteurs

Comment les participants ont-ils/elles vécu ce format d’élu.e.s enquêteur ? Que leur a t il apporté par rapport à des formats de formation ou de sensibilisation plus “descendants” ou plus techniques par exemple ?

Premier constat, le mode d’échange en pair à pair, dans lequel le groupe est lui-même la ressource, est plébiscité. Il permet de glaner des informations différentes (données techniques, contexte local, conseils, points de vigilance, etc.) et d’apporter un regard systémique adapté à la position d’élu “Des échanges riches entre les participants qui eux-mêmes alimentent le débats” ; “J’ai apprécié que les situations [des retours d’expérience] soient très différentes, c’est super pour ouvrir la réflexion et penser autrement“ ; “On a appris des choses que l’on ne connaissait pas”;  “Personnellement, ce qui m’a marqué c’est l’engagement et la conviction des élus qui nous ont présenté leurs projets. Ils y croient. J’ai trouvé quelqu’un qui raisonne de manière systémique et ça m’a marqué.

Il permet également de poser un cadre de confort pour les élu.e.s, de favoriser le changement de posture (passer d’idées préconçues à un avis argumenté par exemple) : « Ça fait du bien d’être avec d’autres élus, ça permet de se poser ». En termes de modération, il invite également les animateurs experts du sujet à se mettre en retrait pour faciliter les discussions et à apporter des précisions en fonction des échanges : « Un point crucial réside sur l’équilibre entre les discussions politiques et les aspects techniques (les échanges informels, les témoignages inspirants…)”.

Et après ?

Cette première expérimentation a permis de construire le cahier des charges de sessions à venir ou d’appui en “rebonds” à cette première session. Sont notamment prévus : > Un kit de ressources personnalisées et un accompagnement individualisé sur les besoins exprimés par chacun des élu.e.s; > Un atelier #2 d’échange sur les ressources partagées; > Un voyage d’étude sur la micro-méthanisation de biodéchets.

Enfin, cette expérimentation elle a permis de tirer des enseignements pour reproduire l’expérience : > L’approche territoriale a eu du sens car elle a permis des échanges plus riches et une bonne mobilisation ; le même atelier pourrait être organisé sur un autre territoire; > Mieux investir les temps de convivialité pour faciliter les échanges informels; > Conserver des retours d’expérience diversifiés.

Article rédigé par Sylvine Bois-Choussy (La 27è Région) et Théo Klein ( L’Institut Paris Region) Illustration : Jeanne Schelle