En guise d’amuse bouche avant la publication d’un premier cahier (Dé)formations qui compilera les pistes d’expérimentations auxquelles nous travaillons actuellement, voici 3 premières idées que l’on espère inspirantes et décadrantes pour répondre au blues des élu.e.s face aux enjeux de transition…
Mai 2021. Près d’un an après les élections municipales, de nombreux élu.e.s locaux sont à nouveau au bord du burn out. Est-ce la même crise que celle que nous avons décrit quelques mois avant les élections ? Pas tout à fait. Elle est accentuée par l’enjeu de la transition écologique dans les territoires. L’omniprésence du slogan « un mandat pour agir », martelé par les associations et collectifs pour le climat, produit chez beaucoup d’élu.e.s locaux une sorte de vertige. Les moins avancés sur le sujet s’y mettent à marche forcée et voient l’ampleur du défi devant eux. Les plus téméraires, arrivé.e.s au pouvoir à la faveur de la « vague verte » ou des listes participatives, ressentent également un malaise. Ils voient leurs marges de manœuvre se réduire à mesure qu’ils se saisissent des dossiers : manque de moyens, contestations locales, difficulté à embarquer les parties prenantes… Par-dessus le marché, la gestion de la crise sanitaire les a tous.tes obligé à gérer une foule d’urgences (la fermeture puis la réouverture des écoles, la reconfiguration des espaces publics, le maintien des services publics, …) dans une feuille de mission déjà pleine à craquer.
Ce blues se traduit par un cocktail de sentiments néfastes :
. un sentiment d’isolement (« On ne sait plus sur qui s’appuyer », « Les compétences et les responsabilités sont concentrées ailleurs », « L’Etat nous abandonne »)
. un sentiment d’impuissance (« Franchement ce qu’on appelle le pouvoir local c’est une supercherie ! » « On a le nez dans le guidon donc on n’est pas à la hauteur des enjeux »)
. un problème de conflictualité (« On a l’impression de monter sur le ring de boxe dès qu’on propose quelque chose »)
Pourquoi ce blues nous préoccupe-t-il tant ? Au-delà du fait qu’il est néfaste pour les élu.e.s (et qu’ils/elles sont nos interlocuteurs/trices au quotidien !), c’est aussi un problème pour l’action publique… Si les élu.e.s ne sont pas les superhéro(ïne)s de l’action publique qu’on a longtemps eu tendance à dépeindre, ils ont quand même de quoi faire bouger les lignes sur des sujets qui touchent notre quotidien, cruciaux pour la transition. Avoir une alimentation de qualité, sortir de la dépendance à la voiture, développer les énergies renouvelables, accompagner l’épanouissement de tous les enfants à l’école et au-delà…
Alors comment faire pour les aider à sortir de ce mauvais pas ? Au-delà des enjeux de formation, on fait ici l’hypothèse que face au multiples défis de la transition écologique, les élu.e.s ont aussi besoin d’accompagnement, de compagnonnage, d’entourage, d’entraide. On propose ici trois pistes exploratoires pour prendre soin de nos élu.es, recueillies en fonction de nos sujets de prédilection ou d’intérêt du moment. Il y en aura sans doute d’autres … mais c’est un début !
- Piste n°1 : s’inspirer des Groupe d’Entraide Mutuelle pour répondre au sentiment d’isolement des élu.e.s
- Piste n°2 : s’inspirer d’« En Thérapie » pour répondre au sentiment de culpabilité des élu.e.s
- Piste n°3 : s’inspirer des Dispositifs Locaux d’Accompagnement des associations pour répondre au problème de conflictualité des élu.e.s
Piste n°1 : s’inspirer des Groupe d’Entraide Mutuelle pour répondre au sentiment d’isolement des élu.e.s
Les élu.e.s locaux se sentent esseulé.e.s face à l’impératif de transition écologique, et franchement, on les comprend. Ils se confrontent simultanément à la complexification des enjeux, à la montée en puissance d’attentes de plus en plus fortes formulées vis-à-vis du local, à la dévitalisation des services déconcentrés de l’Etat et la perte de leurs interlocuteurs traditionnels (partis politiques, chambres consulaires, syndicats… toutes les structures qui organisaient l’action collective dans les territoires sont elles aussi en pleine crise existentielle).
Pour lutter contre ce sentiment d’isolement grandissant, on a une piste ! Des Groupes d’Entraide Mutuelles, inspirés des associations animées par et pour des usagers en santé mentale. Alors oui, le parallèle entre les groupes de patients vivant avec de troubles psy et les élu.e.s peut paraître improbable. Pourtant ce n’est pas farfelu.
Ces GEM sont inspirants à plus d’un titre pour nos élus en mal de liens face aux transitions. D’abord parce qu’ils mettent l’accent sur l’auto-formation. Les activités y sont entièrement portées par et pour les participant.es, suivant leurs envies, leurs sujets de préoccupation et leurs possibilités… Dans notre GEM des élus en transition, les participants ne seraient pas invités à écouter en tant qu’auditeurs, ils seraient en charge d’animer eux-mêmes des séquences à tour de rôle. Sur le fond, c’est l’assurance de prendre les enjeux de transition « à hauteur d’élu.e », d’être au plus près de leurs besoins et de leurs expériences vécues. Sur la forme, c’est engageant mais c’est aussi la garantie que les horaires et les modalités pratiques seront adaptés puisque les participant.es en sont les porteurs ! Plus besoin de courir derrière la maire pour s’assurer qu’elle a bien noté l’heure de la formation… c’est elle qui l’anime.
Les GEM, des espaces collectifs horizontaux et bienveillants pour lever des problèmes individuels
Le GEM est un espace horizontal, à distance des institutions qui habituellement encadrent les personnes présentant des troubles psy. Utile pour nos élus, qui sont parfois un peu « sous perfusion », soit de l’administration – pour les élus des grandes villes – soit des services de l’Etat – pour les élus des petites villes.
Enfin, ces groupes s’appuient sur le principe de la pair-aidance. On y partage son expérience avec des personnes qui vivent une difficulté équivalente, ou l’ont vécue par le passé. Une bonne façon de prendre le contrepied des traditionnels exercices de « partage de bonnes pratiques » qui mettent souvent en lumière les mêmes propositions, les mêmes élus (ces fameux « héros » de la transition)… et accentuent, pour celles et ceux qui galèrent, l’impression d’être les seuls à ne pas y arriver. Au contraire, mettre les élus en situation de partager leurs difficultés et leurs doutes (sur le mode du co-développement) serait une bonne façon de rompre leur solitude.
Mais pour y arriver, encore faut-il aider les élus à repérer leurs pairs… car ils/elles ne sont pas nécessairement là où on le croit. Pas sûr que ce soit via le conseil municipal/communautaire, le groupe politique ou le club des VP à la transition que les élu.e.s repèrent leurs pairs. Là-dessus aussi, les GEM ont des choses à nous apprendre. Dans un GEM, les personnes se rassemblent parce qu’elles partagent un problème en commun (en l’occurrence de santé mentale), qui génère tout un tas de difficultés au quotidien. C’est sur la base de ces difficultés que des communautés nouvelles voient régulièrement le jour, tandis que d’autres disparaissent. Pour constituer un réseau parallèle d’élu.e.s pairs, il faut donc commencer par définir le principal problème auquel chaque élu.e est confronté.e. Entamer un mandat et ne pas savoir s’il faut faire table-rase ou au contraire s’appuyer sur les initiatives existantes ; être élu dans un petit territoire avec peu de moyens et se confronter aux difficultés financière pour impulser des projets de transition ; … c’est en partant des difficultés concrètes que rencontrent les élu.e.s sur le chemin de la transition que les groupes se formeraient. Reste à trouver quelques élu.e.s volontaires pour (oser) partager leurs difficultés afin d’ouvrir des groupes.
Piste n°2 : s’inspirer d’« En Thérapie » pour répondre au sentiment d’impuissance des élu.e.s
Pendant la campagne électorale, les élu.e.s ont été amenés à formuler des promesses en matière de transition : circuits-courts alimentaires, rénovation énergétique des bâtiments, recyclage, lien social, … Beaucoup ont aussi juré qu’ils allaient faire en sorte de « faire de la politique autrement ». Mais force est de constater qu’un an après le début du mandat, c’est l’effet gueule de bois. Et ce n’est pas vraiment de la faute des élus. Premièrement parce qu’en matière de transition, les problèmes sont plus faciles à cerner que les solutions. Celles-ci apparaissent parfois comme des gadgets ou pire, comme des trompes l’œil (et si la mise en place de nos circuits-courts était l’arbre qui cache la forêt de l’inertie des agriculteurs conventionnel ?). Deuxièmement parce que les collectivités sont des institutions avec une grande force d’inertie. Faire différemment … tout en restant à la même place (sur le fauteuil du maire, sur le siège du vice-président) c’est difficile. Ces nouveaux élus doivent donc nager à contre-courant … et le courant est fort. Ils/elles se sentent coupables de ne pas avancer aussi vite et aussi loin que ce qu’ils avaient projeté.
Après avoir visionné les 35 épisodes d’« En Thérapie » par Nakache et Toledano et débrieffer pendant des heures d’« Alice et le Maire » de Nicolas Pariser, on commence à se dire que les élus locaux auraient bien besoin de pouvoir se coucher sur le divan pour prendre du recul sur leur action. Là encore, la piste peut faire sourire… et pourtant on est sérieux.ses !
Globalement, le psy permettrait de transformer la frustration des élu.e.s en ressource ! Dans une psychanalyse, la crise fait partie du changement et c’est même un bon signe (au contraire, c’est l’absence de crise qui est délétère…). Les élus en plein burn out ont besoin d’exprimer leurs difficultés pour ensuite mieux les dépasser.
« Qu’est-ce que votre sentiment de culpabilité vous dit ? En quoi peut-il vous aider à agir ? », dirait Philippe Dayan, le psy d’« En thérapie ».
Le psy des élus serait aussi un espace abrité, réflexif pour comprendre sa singularité. Pour nos élus perdus dans les transitions, toutes les solutions ne passeront pas par la mise en dialogue collective des problèmes. Un exercice individuel permettrait d’aller plus loin dans la compréhension de la singularité de l’élu, de sa commune, de ses problématiques… qui sont uniques. Ici encore, c’est l’occasion de prendre le contrepied des benchmarks automatiques qui lissent la singularité des contextes d’actions des élus. L’exemple de la gratuité des transports en commun à Dunkerque est martelé à tout bout de champ comme étant LA solution pour faire augmenter la part modale des bus… mais tous les territoires n’ont pas les marges de manœuvre financière de Dunkerque, qui peut s’appuyer sur les grandes entreprises industrialo-portuaires du territoire pour financer ces solutions. Les élus doivent donc comprendre leurs marges de manœuvre, dans le contexte précis qui est le leur.
Le psy pourrait aussi ouvrir une remise en perspective historique. Dans une psychanalyse on finit (toujours ?) par conclure qu’il faut comprendre l’histoire de ses parents pour reprendre la sienne. Pour les élu.e.s aussi, le sujet de la filiation et de l’héritage n’est pas mince, il suffit de voir la place accordée aux photos des différents occupants des lieux dans les couloirs des mairies. Le psy des élu.e.s aurait alors pour mission de permettre à chacun.e de prendre la mesure de cet héritage. Il aiderait les élu.es à mieux comprendre la trajectoire de leur commune, les sentiers de dépendance des choix historiques, et leur façon propre d’écrire leur apport dans cette trajectoire longue.
Enfin il permettrait aux élu.e.s d’avoir accès à un espace de rélégitimation. On l’a dit, les élu.e.s embarqués de gré ou de force dans cette histoire de transition sont tantôt vus comme des superhéros tantôt comme des figurants de second rang. Ils/elles doivent pouvoir vider leur sac et mieux prendre conscience de leurs marges de manœuvre. Impulser, accompagner, porter attention, orchestrer, sécuriser, … le rôle des élus dans les projets de transition n’est pas écrit d’avance.
« Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas le superhéros (des transitions) que vous ne pouvez rien faire ! » dirait Philippe Dayan.
Piste n°3 : S’inspirer d’un Dispositif Local d’Accompagnement aux associations… pour répondre au problème de conflictualité
Beaucoup de projets de transition, aux objectifs consensuels sur le papier, se sont en fait révélés sources de conflictualité. Menus végétariens dans les cantines, suppression des éclairages de noël, Zones de Faibles Émissions… Les élus en transition font face à une montée en puissance des conflits, alors même qu’ils ont pour mission de créer du collectif.
Sur ce point, une collectivité fonctionne un peu comme une association. On doit parvenir à créer du collectif entre personnes aux statuts différents (bénévoles/salariés, élus/agents) et aux implications variables. Et pour les associations comme pour les collectivités, c’est un défi de taille… Parce qu’il existe des enjeux de pouvoir et des clans qui se neutralisent les uns les autres. Parce que les difficultés économiques que connaissent les associations et les collectivités produisent une obsession pour les questions financières. Et parce que créer du collectif, ça demande beaucoup d’énergie.
Quand ça devient trop dur, les associations peuvent avoir recours à un DLA, un Dispositif Local d’Accompagnement, sous forme de taskforce de professionnels mobilisée sur plusieurs semaines. Cet outil permet de conseiller et d’orienter l’association demandeuse vers les acteurs ou les ressources du territoire les plus appropriées. Et si les élu.e.s pouvaient elles/eux aussi tirer la sonnette d’alarme et avoir accès à un DLA pendant le mandat ?
Le DLA permet de sortir du piège de l’individualisation dans lequel on a tendance à enfermer nos élu.e.s. Plutôt que d’accompagner chaque élu ou chaque agent séparément, le DLA se donne pour mission d’aider à faire équipe, à fluidifier le fonctionnement collectif. L’enjeu étant de sortir du face-à-face entre élus/agents/citoyens et de penser l’action collective.
Les DLA proposés par la Mairie de Paris aux associations permettent de financer la venue d’équipes de médiateurs pendant 2 à 3 semaines
Le DLA des élu.e.s fonctionnerait comme une mission diplomatique, avec pour but de mettre de l’huile dans les rouages de la collectivité. Il assurerait une fonction de médiation pour aider les élu.e.s à faire collectif. En interne, entre les élu.e.s (de la majorité, et avec l’opposition) et dans le rapport à l’administration. A l’extérieur de la collectivité, pour fluidifier les rapports avec le reste de l’écosystème des acteurs locaux.
Chaque élu.e pourrait activer, au cours du mandat, une intervention de quelques semaines, pour répondre à une problématique de travail en équipe. Avec qui monter des projets ? Comment réinventer les conseils communautaires pour en faire de vrais lieux de débat sur les chemins de transition ? Quel rapport entretenir avec les collectifs pour le Climat ? …
Le GEM, le psy, le DLA sont trois pistes un peu décalées à première vue… elles mais révèlent surtout les besoins de compagnonnage, de réflexivité et de collectif pour prendre soin de nos élu.e.s locaux, sous pression face aux impératifs de transition
Autrice :
Manon Loisel, Agence Partie Prenante
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