Suite à une première phase d’enquête sur les attendus et besoins de formation d’élues/élus périurbains et ruraux, nous sommes allés voir et questionner du côté des acteurs qui constituent l’offre de ce secteur : organismes de formation, réseaux formels et informels, partis politiques, etc. L’objectif était pour nous de mieux appréhender le paysage de la formation des élus liée aux sujets de transition, et de tester nos premiers enseignements et intuitions.
Cette enquête nous a permis de rencontrer des organisations très diverses, à l’image de l’offre de formation existante : organismes privés, structures publiques et parapubliques (ANCT, Sciences Po, CAUE, ALECOE, CERD), réseau de projets européens (URBACT), partis politiques, réseaux de villes et d’élus (AMIF) ou acteurs plus hybrides (La Fabrique des Transitions). Nous les avons interrogés sur leurs pratiques de formation des élues/élus et leurs retours d’expériences : méthodes et pratiques, formats, temporalités, profils venant vers eux et leurs demandes …
Premier constat : beaucoup d’offres et des contenus très divers
Nous avons pour commencer, en termes de contenus de formation adressés aux élus, repéré trois grands types de propositions, qui traitent directement ou indirectement de questions de transitions :
– Celles proposant un repérage sur les fondamentaux d’un mandat local ‘spécial élues/élus débutants’ pour naviguer les premiers temps de celui-ci : mode d’emploi de la collectivité (être élu d’arrondissement dans une grande métropole n’est pas pareil que l’être dans une petite ville), savoir se positionner comme élu (décrypter la spécificité de son rôle afin de gagner du temps, etc.),
– Celles proposant un apport en savoirs techniques sur des sujets précis liés aux transitions : développer les énergies renouvelables, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, développer une alimentation bio et locale, les mobilités douces, etc.,
– Celles proposant plutôt des apports de types “soft skills” ou méthodologiques sur les manières d’exercer leur rôle en lien avec des sujets de transition (gestion de conflit, management et modes de coopération, etc.).
L’ensemble des attentes existent nous dit-on ; les besoins évoluent au fil du mandat et suivant le contexte d’exercice ; les élues/élus sont dans une grande diversité de situations y compris dans un même groupe (arrière plan inégaux sur la transition, parcours de militance diverses, expérience de mandat mais aussi diversité des contextes territoriaux et des collectivités dans lesquelles s’exerce le mandat …). Ces premiers constats soulignent la nécessité d’adapter les parcours à la demande et aux territoires, d’imaginer des formes d’auto-diagnostic permettant de définir le besoin au préalable, mais aussi de penser la formation comme un parcours (pourquoi pas collectif).
Des thèmes émergents qui soulignent l’évolution des profils d’élues/élus
L’enquête a en outre permis d’identifier des thèmes émergents, qui dessinent en filigrane l’évolution du profil des élues/élus ou des enjeux auxquels ils.elles doivent faire face, par exemple :
– Comprendre les codes du pouvoir, renvoyant au nombre croissant d’élues/élus locaux ‘hors partis’ et plus novices en politique ;
– Ethique et courage en politique (adressé en filigrane, mais identifié comme un sujet en soi), pointant à la fois les responsabilités croissantes auxquelles les élues/élus doivent faire face et l’amenuisement de la ‘discipline de parti’ dans les choix qui sont faits ;
– Être femme en politique (avec des contenus comme : se préserver en politique, développer son assertivité, construire sa légitimité et son influence, etc.), soulignant la féminisation de ce rôle et l’attente des élues/élus de sortir des délégations qui leur sont souvent assignées (petite enfance, culture, espaces verts, etc.)
– Développer l’égalité homme-femmes au sein de la collectivité ou dans l’espace public, prévenir les violences sexistes renvoyant à l’essor de ce sujet dans toutes les sphères de la vie publique ; – etc.
Difficile, finalement, de naviguer sans se perdre dans cette offre de formation très diverse : peut être aurait on besoin d’une grille de lecture sur la qualité de l’offre de formation, d’une boussole pour s’orienter, d’un ‘super conseiller’ pour identifier ce qui est en adéquation avec ses besoins ou ceux de sa collectivité, se construire son propre parcours…
Des formats de contenus à ré-inventer
En termes de formats de contenus disponibles, nous avons pu dresser un panorama qui déborde les traditionnelles sessions de formation en présence ou par visio conférence, en intra (pour un groupe constitué au sein d’une même collectivité) ou en inter-collectivité : modules de formation en ligne comme le MOOC « Mon village, ma ville en Transitions » du Centre ressource du développement durable (cerdd), boîtes à outils comme celle du réseau européen URBACT qui offre par exemple des outils de cartographie des parties prenantes ou de conduite collective du changement. Au-delà, nos interlocuteurs nous ont rappelé que les élues/élus se forment également beaucoup de manière informelle, à l’écoute d’intellectuels contemporains (JM Jancovici, B Latour, etc.), au travers de documentaires (Why we cycle, Demain, etc.).
Ceci montre notamment un besoin de sortir de l’académisme de la formation en tant que contenus, de formats, de s’écarter des archétypes et des approches trop ciblées pour aller vers des formations plus transversales, avec des chevauchements de sujets, davantage adaptées aux questions qu’ils rencontrent au quotidien. Il y a certainement également, au-delà de la création de nouveaux contenus, un intérêt à penser la navigation, voire la mise en musique de l’existant.
Second constat : la nécessité d’adresser la formation des élues/élus comme secteur économique et professionnel.
Quels modèles économiques pour la formation à destination des élues/élus de petites communes ?
Ces entretiens nous ont permis d’aborder la formation comme secteur d’activité dans sa dimension économique et ses logiques de marché.
Du côté de la dimension économique de la formation, les modèles actuels demeurent difficilement mobilisables pour les élues/élus de petites communes (outre le manque d’information sur leur droit à la formation) : les formations demeurent coûteuses (même si des adaptations tarifaires indexées sur le nombre d’habitants existent), la réforme de la formation des élus risque de diminuer encore le nombre d’heures disponibles et les crédits disponibles sont aujourd’hui principalement dépensés par les élus de métropoles ou de grandes collectivités. Ceci risque à long terme d’accentuer les écarts entre les élues/élus (les plus novices dans la position d’élus d’une part, les moins sensibilisés aux questions de transition d’autre part) et entre les territoires (retards dans la mise en place des politiques de transitions). Parmi les autres freins cités, la complexité administrative du Droit Individuel à la Formation pour les élus, si bien que ce sont souvent les organismes de formation eux-mêmes qui montent les dossiers. Par ailleurs, des initiatives de plus en plus nombreuses produisant de la montée en compétence des élues/élus se déroulent également hors des cadres de formation (réseaux d’échanges, etc.), invitant à réfléchir à l’hybridation des formats, et des modèles économiques, en associant par exemple un temps de formation à une journée de rencontre organisée et financée par un acteur local ou institutionnel.
Pour répondre à ce constat, pourrait-on imaginer de formes de mutualisation des financements ou de l’ingénierie, une vision plus collective des stratégies de formation d’élues/élus sur un territoire, etc. ? L’intercommunalité, aujourd’hui peu active, peu prescriptrice, pourrait être un acteur à mobiliser par exemple, comme endroit de mutualisation, d’impulsion.
Quid de communs pour le secteur ?
Nous avons également pu constater la diversité des acteurs de l’offre : entre acteurs privés, publics ou parapublics ; larges consortiums (ANCT / SciencesPo / Banque des territoires) et petits acteurs (Cap Nova, MonMandatLocal, etc.) ; organismes spécialisés dans la formation (CEDIS) ou l’intégrant dans des propositions d’appui bien plus larges (CERD, Ademe), voire n’offrant qu’une dimension de formation informelle ou de sensibilisation/ accompagnement d’élus (Conseil départemental) ; acteurs à dimension fortement militante (partis politiques, mais également EluesLocales, qui promeut la place des femmes en politique) ou revendiquant une approche plus technique ou non partisane (Institut Paris Région).
Dans ce paysage qui demeure concurrentiel, nous avons observé la difficulté d’évaluation des impacts des formations (atterrissage, droits de suite, etc.), l’absence d’espace de R&D partagée, de dynamique de co-développement ou de mutualisation des enseignements du côté des formateurs, qui pourraient venir renforcer la qualité de l’offre, mettre en système et clarifier les propositions pour mieux appuyer les élues/élus. Que seraient les communs du secteur ? Quels nouveaux modèles pourrions nous envisager pour créer ces logiques de partage et de coopération qui permettent de sortir des logiques concurrentielles ?
La formation, un autre espace de militance, des communautés à animer ?
En termes de diffusion et de marketing de l’offre, les plaquettes de com’ sont visiblement moins efficaces que la logique du “bouche à oreille” : la confiance joue un rôle primordial, des élues/élus ambassadeurs ou prescripteurs peuvent conseiller, donner des repères aux élus en quête d’une formation, ils sont une sorte de boussole. Faire preuve de concept est aussi un élément déclencheur: plutôt que de s’engager directement dans un cycle, si la formation commence par une première journée réussie, alors d’autres modules de formations peuvent s’enclencher.
L’intérêt de la dynamique de réseau, de la dimension militante de la formation, du sentiment de pairs revient également comme vecteur d’engagement. Ces “formations communauté” (partageant une même appartenance à un courant politique, ou destinées à une même catégories d’élu.e.s, par exemple) permettent de cibler plus précisément les problématiques de leurs publics et créent un climat de confiance où exprimer plus librement doutes et difficultés. Elles mobilisent également une implication plus forte dans les à-côtés de la formation : partage de conseils et d’expérience sur des réseaux sociaux dédiés ou des temps formels ou informels, contribution à des démarches de lobbying, etc.
Les formations/dispositifs qui s’ancrent dans un périmètre donné (Conseil départemental, ALECOE …) ont aussi la cote. Elles contribuent à montrer et expliquer ce qui fonctionne sur les territoires voisins et à renforcer des réseaux locaux. Enfin, les formations plus techniques et ciblées sur un objet clairement délimité/opérationnel sont également très plébiscitées par les élues/élus.
Troisième constat : besoin de co-construction, de changement des représentations, pair à pair … Des confirmations qui mettent de l’eau au moulin (Dé)formations
Du point de vue des pré-requis, on retrouve le besoin de co-construire l’offre, de créer une dynamique collective / contributive dans le cadre de la formation (à outiller). Comment s’assurer que les demandes correspondent à leurs besoins réels, aider à re-poser le problème, à le re-questionner à nouveau pour leur permettre d’exprimer des demandes plus sous-jacentes ou complémentaires ?
Autre pré-requis : changer les représentations des élues/élus sur la formation : travailler un vocabulaire qui ne clive pas, faire retomber la pression qui l’accompagne et faire preuve d’humilité sur le fait de se former. Être élu ne veut pas dire qu’on sait tout, d’où l’importance de dépressuriser les situations de chacun et de faire sortir les élus de leurs représentations sur la formation. “Réussir des politiques publiques comme celle de la transition est d’une grande complexité et aucun d’élu n’y parviendra sans se former, mais aussi sans tâtonner, sans essai/erreur”. La formation est un droit à mieux s’outiller pour la suite du mandat plutôt qu’un aveu de carence.
Du point de vue des formats, le pair à pair est retenu comme une attente et une nécessité. Il semble cependant encore peu outillé dans les formations existantes (quels formats sont les mieux adaptés et les plus porteurs en fonction de quel objectif – inspiration, renforcement, expérimentation distribuée, etc.) et mal défini (qui est le pair de qui : élues/élus qui se connaissent ou au contraire pas du tout ; communes de même taille ou bien de différentes échelles sur un même territoire, élus entre eux ou avec leur administration, etc. ? ). Quels seraient les ingrédients pour un pair à pair réussi ?
Du point de vue de la temporalité, sans surprise, le manque de temps se confirme et les élus n’ont pas de temps à perdre, mais aussi en conséquence l’intérêt des formats cycliques, de sessions courtes et régulières : quid des modalités pour enclencher l’adhésion d’un cycle à l’autre, ou au contraire permettre la participation seulement à qq moments du cycle, tout en tenant un fil rouge de l’ensemble – documentation, animation de communauté, etc.?).
Cette série d’entretiens nous donne envie d’imaginer les tests que nous mènerons avec (Dé)formations dans une perspective plus distribuée : nous aimerions impliquer, au-delà des partenaires du projet, des acteurs de cet écosystème de la formation des élues/élus afin des tester, ensemble de nouvelles modalités et scénarios de formations sur les questions de transitions. Si vous êtes intéressés à y réfléchir avec nous, n’hésitez pas à nous contacter !
Autrice.s :
Sylvine Bois-Choussy, cheffe de projet à La 27e Région
Emeline Lavocat, designer à La 27e Région
Commentaires récents