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Les élus se posent de nombreuses questions face aux enjeux de transition écologique, notamment sur les meilleures façons d’associer les citoyens. Notre enquête a montré que l’offre de sensibilisation et de formation sur ces questions était importante, mais que les élus se sentaient submergés et qu’il n’était pas facile de passer de l’information théorique à l’action. Sans compter que dans cette période de crise aiguë, leur agenda est chargé et leur collectivité n’est pas toujours organisée pour les aider.

Comme les aider à se professionnaliser de façon frugale et directe, et s’assurer qu’ils pourront plus facilement franchir l’étape de concrétisation ? Pour tenter d’y répondre, nous nous sommes rapprochés du CERDD (Centre de Ressource du Développement Durable), avec qui nous avons conduit une expérimentation dans le cadre de son cycle de sensibilisation “Territoires participatifs”, suivi par 14 binômes élu.es/agents venus de communes situées sur tout le territoire des Hauts de France : Ronchin, Lambres, Lez, Douai, Templeuve, etc.

L’expérience, conduite entre juin 2021 et fin 2022, visait à convaincre les élus de réaliser eux-mêmes une enquête sur une initiative existante jugée inspirante en matière de participation citoyenne dans le champ de la transition. A travers cette expérience, il s’agissait de vérifier plusieurs hypothèses :

  • Le fait d’être mis temporairement dans une posture de type « journaliste d’investigation » crée une posture d’attention plus active chez les élus ;
  • Cette posture plus active est de nature à provoquer plus facilement l’action après coup, à passer au stade de la concrétisation ;
  • Ce format permet de produire un nouveau type de connaissance, plus ancrée dans les besoins de l’élu ;

Deux tests menés en septembre et octobre 2021

Dans un premier test lancé en septembre 2021, le thème d’enquête suggéré portait sur “les postures des élus face à la participation citoyenne”. Les volontaires étaient invités à interviewer les collègues de leur choix en interne. Deux binômes ont finalement réalisé les interviews : ceux de la Ville de Ronchin et de la Ville de Margny-lès-Compiègne. L’élu de Ronchin a procédé par entretien spontané sur un marché de type micro-trottoir, et l’agent de Margny a produit une analyse de plusieurs pages, réalisée sans interview. Au final, malgré l’intérêt de ces prises d’initiatives, les retours étaient globalement décevants, et nous avons conclu de cette première expérience que les consignes étaient trop larges.

Lors d’un second test lancé lors de la session du 5 octobre, les thèmes d’enquête ont été précisés. Il était cette fois proposé aux répondants de choisir entre 4 thèmes d’enquête sélectionnés à l’avance par la 27e Région et le CERDD, à savoir : le dispositif participatif 50/50 à Loos-en-Gohelle, le tiers-lieux l’Hermitage à Autrêches, l’initiative citoyenne “la République des Hypervoisins” à Paris 14e, et la gestion collective de l’eau à Bruxelles. Les nouvelles consignes prévoyaient que les participants devaient d’abord conduire une courte enquête documentaire sur internet sur le sujet de leur choix, puis prendre rendez-vous et conduire un entretien avec des contacts identifiés sur ce même sujet. Les consignes comprenaient également des conseils sur le type d’attendus au terme de l’enquête (par exemple l’enjeu de réplicabilité du projet).

La Ville de Baisieux a choisi le 50/50, Templeuve a choisi les Hypervoisins, et le PNR Scarpe Escaut a choisi le tiers lieu de l’Hermitage. Tous ont d’abord effectué des recherches sur internet, puis se sont organisés entre eux pour prendre rendez-vous, préparer puis conduire les entretiens. Lors de l’atelier organisé par le CERDD le 16 novembre, il a été proposé aux élus enquêteurs des 3 collectivités de se réunir autour d’un temps d’approfondissement de l’enquête, à la fois pour échanger leurs vues entre eux, et identifier des points à approfondir ou éclaircir. La semaine suivante, Templeuve a organisé un nouveau temps d’échange avec Hypervoisins. L’un des élus à prévu une présentation des fruits de l’enquête en conseil municipal. L’élu de Baisieux a présenté l’expérience 50/50 à l’adjoint aux finances et au maire, et fait intervenir le porteur de projet, en vue d’une réplication à Baisieux. Tous les participants témoignent du fort intérêt qu’ils ont ressenti lors de cette expérience, et des suites sont prévues dans plusieurs cas, notamment des visites in situ.

Des enseignements sur le fond et sur la forme

Alors que l’expérience initiale concernant seulement les élus, les binômes élu/agent se sont avérés plus pertinents : plusieurs agents témoignent que l’expérience leur a permis d’entrevoir un autre mode de collaboration possible avec les élus -et inversement. L’enquête représentait une forme de micro-projet concret, où l’on apprend à travailler ensemble différemment, à s’organiser sans rapport hiérarchique, à s’entraider, à produire ensemble un “commun” qui pourra être partagée plus largement.

Parmi les facteurs qui ont contribué à la réussite de l’expérimentation, on peut citer : recruter des élus motivés (via un appel à candidature initial); proposer des thèmes d’enquête sur des sujets que les élus ont envie d’expérimenter (l’enquête devient un accélérateur de projet); positionner le formateur en appui, en back office et en personne ressource les journées de formation.

Sur la forme, l’expérience a montré que mettre l’élu en position d’enquêteur a des vertus capacitantes : il peut être un accélérateur de projets. Il met les élus à égalité avec les interviewés, et fait tomber les hiérarchies le temps de l’entretien. L’outil “enquête” peut aussi être décliné de différentes manières : il est souple, adaptable et peut être léger (ici l’enquête de terrain consiste en un seul entretien approfondi). Cet entretien permet d’aller dans les interstices, de comprendre ce qui n’est pas dit dans les articles sur internet, d’aller plus loin. Le fait de leur proposer le choix entre plusieurs sujets suffisamment diversifiés est une garantie qu’ils trouveront un thème en lien avec leurs préoccupations, sur leur territoire.

Et maintenant ?

L’expérience est concluante, et le CERDD envisage de l’intégrer comme une offre récurrente, un dispositif à reconduire. Mais des améliorations et des évolutions sont possibles :

  • Par exemple, donner dès en amont des pistes de concrétisation : dans certains cas, les participants ont pu se demander à quoi servirait l’enquête après-coup. Dans les prochaines expériences, il sera utile d’anticiper en indiquant dès les premières consignes le type de suites possibles : préfigurer une visite du projet in situ, présenter les résultats à un public plus large, préparer la mise en oeuvre d’un projet, etc
  • A partir de la même formule, il serait également possible de diversifier les combinaisons : élu/agent, élu/élu, groupe d’élus et agents, etc.
  • L’expérience doit être “réversible” : lors de l’expérience, une élue a exprimé que le sujet l’intéressait mais qu’elle ne souhaitait pas participer à la suite, que ça dépassait ses compétences.
  • Souplesse dans l’organisation du binôme élu/technicien (soit l’élu fait l’enquête seul, soit élu/technicien font l’enquête ensemble), mais veiller à ce que le technicien ne fasse pas à la place de l’élu,
Article rédigé par Stéphane Vincent (La 27e région)
Illustration : Jeanne Schelle