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(Dé)formations projette de former les élus d’Ile-de-France aux “transitions”, qu’elles soient écologiques, économiques, sociales ou citoyennes. 

La première phase du projet doit permettre, au travers d’une enquête collaborative, de préciser la façon dont nous aborderons cet enjeu des transitions dans les propositions de formation que nous livrerons. Nous irons chercher les points de vue d’élus, de leurs collaborateur.rice.s, d’acteurs locaux franciliens : comment se positionnent-ils par rapport à cette notion? Quels récits en font-ils? Comment la décline-t-il concrètement sur leur territoire et dans leur projet de mandat, quelles sont leurs difficultés également sur le sujet?

Pour préparer l’enquête, nous cherchons à définir des partis pris que nous confronterons au regard de nos interlocuteurs. L’équipe a donc organisé des temps de veille documentaire partagée  –les grandes brasseries et les petites brasseries. Il s’agissait de présenter et de débattre des principaux résultats d’expérimentations, de recherches et d’autres travaux récents sur les thématiques « transitions, élus, élus dans les transitions ». L’objectif est de partager, pour chacun des thèmes, les enseignements, les résultats et la façon dont ces démarches pourraient nous inspirer dans le cadre de (Dé)formations.


Premier constat : la connaissance des élus sur la thématique transition est très hétérogène.
 

Les élus vont s’interroger sur les changements induits par la transition dans leur champ de compétence (par exemple les déchets pour l’élu à la propreté, la rénovation énergétique pour l’élu en charge des bâtiments communaux). Mais rares sont ceux qui ont une approche transversale, qui abordent la question dans sa dimension systémique et de relation au territoire. De plus, comme la transition est souvent dans le champ de compétence de l’intercommunalité, l’élu local peut se sentir dépossédé. Or construire une culture commune est un pré-requis, notamment entre l’intercommunalité, qui pourrait jouer un rôle de mutualisation sur ce sujet, et les communes.


Second constat : la « transition » est un énorme chantier ; impossible pour un élu de faire seul avec son administration.
 

Il est nécessaire d’associer les citoyens, les associations, les entreprises. Loin de l’image d’épinal de l’élu omniscient, la transition invite à la modestie… Le rôle de l’élu est celui d’un chef d’orchestre, avec toutes les questions que cela pose : comment concilier le conseil de transition locale, lorsqu’il existe, avec la représentation du conseil municipal ? Quelle légitimité de l’instance politique par rapport à l’instance citoyenne ? etc.

Les travaux de Tanguy Le Goff[1] sur les villes petites et moyennes des franges de l’agglomération parisienne rappellent qu’il est nécessaire de prendre en compte les singularités des territoires au sein de la région capitale. Territoires d’élection des ouvriers et des salariés (tendance qui s’explique par l’histoire industrielle et par le prix du foncier dans ces territoires), la transition écologique dans ces villes petites et moyennes des franges franciliennes devra nécessairement inclure une dimension sociale. C’est une condition de son acceptation et de son appropriation par les ménages modestes et dépendants à la voiture qui y habitent. Dans ces territoires, les études soulignent d’importantes dynamiques de densification initiées par la planification (PLU). Pourtant ces 10 dernières années ces orientations ont eu peu de traduction opérationnelle. En cause, sans doute le temps long des politiques publiques. Cela veut dire que le changement ne peut s’appuyer seulement sur la planification mais doit passer par d’autres leviers : projets urbains, services…

Cette dimension systémique des transitions ressort également des travaux de Nicolas Laruelle sur les “hauts lieux” de la transition socio-écologique en Ile de France. Il s’agit de lieux délimités et concrets où se concentrent, dans un carré d’1 km sur 1 km, des innovations écologiques, économiques ou climatiques. Les usages des hauts lieux sont multiples : démonstrateurs, pour nourrir d’autres initiatives ; laboratoires pour analyser les transitions ; polarités urbaines d’un type nouveau, etc. Une part non négligeable de ces hauts lieux sont situés dans des territoires ruraux : donc oui, la transition s’invente aussi dans les villages ! En termes de conduite du changement, ce qui fait sens n’est pas la proximité géographique mais la proximité organisée qui suppose que les acteurs, dont les élus, organisent cette proximité : c’est une condition pour que l’innovation « prenne ». On retiendra enfin la diversité des formes d’innovation (forgées par la coopération, produites par le conflit, etc.) qui y sont observées.


Et si ce qui était en transition, c’était aussi le rôle des élus?

C’est en tout cas le questionnement qui ressort de la note de Manon Loisel et Nicolas Rio “A quoi servent encore les élus après les “Gilets Jaunes”?”, invitant à ‘revoir la fiche de poste des élus’. Le point de départ est le constat d’un double malaise, celui des élus locaux – on a beaucoup parlé du burn out d’élus et de pénurie de candidats pour les municipales –  et des citoyens et consultants – sur la place occupée par les élus dans l’action publique où : on n’arrive jamais à les mobiliser, à leur donner leur juste place, entre élu sauveur et élu obstacle…

Si notre “besoin d’élus” persiste, il se transforme, et il faut aider les élus à mieux comprendre et occuper leur rôle, et la raison pour laquelle on a besoin d’eux ici et maintenant. Une conviction : ne pas ajouter de nouvelles injonctions (notamment sur les transitions) mais aider les élus à naviguer parmi l’ensemble des injonctions, et permettre à ceux qui travaillent avec eux de ne pas être producteurs de nouvelles contradictions. La réflexion souligne enfin qu’une des principales compétences à développer pour les élus est la capacité à coopérer.

La transition passe-t-elle donc par de nouvelles gouvernances ? C’est en tout cas l’hypothèse posée par le mouvement des communs : face aux défis sociaux, environnementaux, etc. auxquels nous devons faire face, l’acteur public ne peut plus être le seul dépositaire et garant de l’intérêt général. Il doit forger de nouvelles alliances avec acteurs locaux, société civile, acteurs privés, etc. Dans le cadre du projet Enacting the commons, la27e Région et ses partenaires ont exploré dans différents territoires européens, les formes et les modalités de ces nouvelles gouvernances : pactes de collaborations entre la ville et les habitants pour le soin de la ville à Bologne, plan pour faciliter l’occupation temporaire et la coopération entre les acteurs locaux à Gent, alliance acteurs publics de la région de Manchester au service d’une économie inclusive sur le territoire, etc. Ces approches, si elles s’appuient entres autres sur de nouveaux “contrats” et mécanismes juridiques, reposent également sur une évolution de la posture de l’acteur public. L’élu, s’il doit incarner une vision de transformation, doit également se faire intermédiateur, animateur des parties prenantes et de leurs intérêts divers, saisir le conflit comme un facteur de transformation.


De nouvelles méthodes et modes de faire ?

Notre tour d’horizon nous a enfin permis de souligner des modalités de travail à tester par et avec les élus. L’expérience du projet Villages du Futur, porté par la 27e Région, souligne par exemple la vertue d’une approche collective, la multiplicité des formats déclenchant également de nouveaux impacts. Se projetant ensemble, 14 petites communes rurales du Morvan ont souhaité répondre à leurs difficultés en termes de désertification administrative et de services par des logiques de coproduction et de co-concertation ; habitants, élus, experts en appui des acteurs locaux -centres sociaux, collèges, groupements de producteurs-, ont réfléchi et travaillé ensemble pour produire la feuille de route du village pour les 5 à 10 ans qui viennent. La dimension d’enquête collective du projet a par exemple pris la forme de formation et de sensibilisation pour les élus, les agents, les habitants qui apprenaient collectivement à se saisir d’enjeux collectifs. Le projet a également souligné l’importance de confronter grands principes, injonctions régionales et vie du terrain, et l’intérêt d’une approche par le local.

L’expérience du projet Enacting the commons et de ses voyages d’étude en Europe croisant agents et élus de différentes collectivités françaises, a montré l’intérêt d’un format immersif sur plusieurs jours : les personnes présentes sont disponibles pour produire ensemble, la dimension d’entre-apprentissage et de regard d’ailleurs jouent le rôle de catalyseur.

Finalement, ce travail de veille a conforté notre intuition initiale : la spécificité de nos formations sera moins dans la thématique (les transitions) que dans la manière de s’en saisir. Autrement dit, l’essentiel est dans la manière de conduire l’action publique locale, de construire la place des élus et des acteurs publics dans ces transitions.

[1] « Les villes petites et moyennes des franges de l’agglomération parisienne : nouveaux refuges ?», L’Institut Paris Région, 2019 et « Villes des franges de l’agglomération parisienne. Être plus qu’une simple campagne à Paris », note rapide de l’Institut, 2019


Auteures
 :
Brigitte Guigou, sociologue urbaniste, chargée de mission formation et partenariat recherche, Institut Paris Région
Sylvine Bois-Choussy, Cheffe de projet à la 27e Région