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Beaucoup d’élu.e.s locaux se sentent esseulé.e.s face à l’impératif de transition écologique. Ils se confrontent simultanément à la complexification des enjeux, à la montée en puissance d’attentes de plus en plus fortes formulées vis-à-vis du local, à la dévitalisation des services déconcentrés de l’Etat et la perte de leurs interlocuteurs traditionnels (partis politiques, chambres consulaires, syndicats… toutes les structures qui organisaient l’action collective dans les territoires sont elles aussi en pleine crise existentielle). Pour lutter contre ce sentiment d’isolement, nous avons fait l’hypothèse que les élus doivent se rencontrer entre eux, et piloter eux-mêmes leurs formations. Sur le principe des Groupes d’Entraide Mutuelles, inspirés des associations animées par et pour des usagers en santé mentale nous avons mis l’accent sur deux principes : l’auto-formation (des activités portées par et pour les participant.es, suivant leurs envies, leurs sujets de préoccupation et leurs possibilités) ; la pair-aidance (partager son expérience avec des personnes qui vivent une difficulté équivalente, ou l’ont vécue par le passé).

Comment faire pour aider les élus à repérer leurs pairs ? La définition d’un problème commun suffit-elle à faire groupe ? Les élu.es peuvent-ils auto-animer ce genre de groupe ? A quelles conditions ? Il s’agissait au cours de ce test, en partant des problématiques spécifiques aux élus en charge de la transition écologique, de tester la pertinence et la faisabilité d’une telle rencontre entre élus sur la base d’un problème commun et, à moyen terme, de travailler sur les modalités, la pertinence et la faisabilité du portage par et pour des élus, dans le temps, d’un tel groupe. 

La méthodo en deux mots

Nous avons amorcé la discussion avec une élu.e.s ‘pilote’ qui nous a partagé ses difficultés d’élue à la transition. Nous nous sommes ensuite lancés dans le recrutement de « pairs », élu.e.s en charge de la transition écologique du même territoire francilien, et de villes de taille similaire ; l’Association des Maires Ruraux de l’Essonne a accepté de diffuser la proposition dans sa newsletter, et nous a permis de mobiliser une  dizaine d’entre eux. Nous nous sommes ensuite appuyés sur une rencontre d’1h30 en visio pour que ces élus partagent leurs difficultés, puis un questionnaire en ligne pour permettre aux participants d’évaluer l’exercice anonymement et de se prononcer sur une suite.

Deux ateliers d’échange en pair à pair ont ensuite eu lieu, en ligne, avec l’appui de Manon Loisel (Partie Prenante) ; après avoir partagé leurs attentes, les participants ont été réunis par petits groupes, en fonction de la taille de leur commune (et donc de la taille de leur administration). Ils ont chacun planché sur une difficulté en particulier, puis ont partagé collectivement.

Des ambiguïtés du rôle d’élu.e à la transition

L’entretien avec l’élue pilote de la démarche, puis avec les d’élu.e.s mobilisés, ont permis de mieux cerner le « problème à partager » de ces élu.e.s à la transition, autours de quatre sujets:

Sur le rapport à l’administration : les élu.e.s en charge de la Transition Écologique doivent-ils s’appuyer sur une mission transversale ou mettre en place une délégation spécifique ? Agir via un changement culturel radical ou par bienveillance managériale ? Comment gérer le rapport à la transversalité quand les égos existent et les habitudes de travail sont en silo ?

Sur les coalitions à construire : les élu.e.s en charges de la Transition Écologique doivent-ils d’abord travailler avec le dehors (avec les citoyens, partenaires…) ou commencer par le dedans (en transversalité avec les agents, dans tous les marches publics, …) ? Quelle place accordée aux corps intermédiaires ? Quel lien avec l’intercommunalité ? Comment convaincre tout le monde que c’est une priorité ?

Sur le rapport au temps : les élu.e.s en charge de la Transition Écologique doivent-ils engager un processus permanent (horizon 2040) ou mettre en œuvre des petits pas à court terme ? Comment concilier urgence et temps long, notamment quand les services sont noyés dans le quotidien ? Quand la transition écologique passe par des projets longs et couteux, comment faire que ce soit visible à court terme ? Quelle capacité à se projeter au-delà du mandat ?

Sur le rapport au consensus (Pour faire avancer la transition, faut-il assumer des choix politiques clivant ou rechercher le consentement et l’adhésion ?).

Tous les participants ont enfin confirmé leur sentiment d’isolement (« on se croise tout le temps mais on n’a rarement le temps de se parler vraiment », « on croule sous l’expertise mais on se sent quand même seul », « on ne sait pas vraiment à qui parler de tout ça »).

 Quels enseignements pour la formation des élu.e.s ?

Les élus sont sans doute leurs meilleurs formateurs ! « Habituellement, on croule sur l’expertise technique… cette fois c’était précieux de pouvoir échanger à partir de nos problématiques communes. On vit tous à peu près les mêmes problèmes. » A l’issue de l’heure et demie d’échanges, tous les participants étaient ravis de la précision et de la qualité des échanges. Tous demandent à poursuivre l’aventure, en déclinant les sujets plus précis qui ont émergé (l’enjeu de la mesure d’impact, la mutualisation des objectifs, la transversalité, la conflictualité). Les élu.es partagent l’envie d’être « entre eux », avec une animation très légère de la part d’un tiers. Une des difficultés tient à leur capacité à porter, organiser eux-mêmes la suite dans des agendas déjà très contraints. Faut-il un tiers dans la durée pour pouvoir maintenir la dynamique (bloquer des créneaux dans les agendas, aller chercher des intervenants extérieurs et d’autres élus pour avancer dans le processus). Qui doit-être ce tiers ? Un agent d’une des communes ? De l’intercommunalité ? Un consultant ? Les élus ont décidé d’arbitrer sur cette question lors de la prochaine rencontre.

Il est plus utile de partager des difficultés que des bonnes pratiques !« Qu’est-ce que ça fait du bien de partager les bonnes et les mauvaises pratiques, les sources d’espoirs autant que les galères. On a besoin de se serrer les coudes car on est tous très contraints dans notre mandat. » La grande majorité des participants a apprécié le fait de pouvoir partir de leurs difficultés individuelles pour les partager collectivement. Ils soulignent que dans beaucoup de réunions technico-politiques, on a le réflexe de survaloriser les expériences réussies, les benchmarks et autres échanges de bonnes pratiques. Ces réflexes connaissent pourtant des limites. D’une part, les aventures heureuses dépendent de contextes précis et ne sont pas toujours transposables. D’autre part, le fait de mettre l’accent sur les « bons élèves de la transition » peut participer à accentuer le sentiment d’impuissance de celles et ceux qui rencontrent des difficultés. Pour la suite de la démarche, les participants souhaitent trouver un équilibre entre partage des difficultés (pour poser les bons diagnostics) et partage de bonnes pratiques (pour avancer sur des pistes opérationnelles).

Bien animer, c’est parfois ne pas animer ! « Pour une fois, on ne va pas dans une réunion pour recevoir de l’information, c’est nous qui parlons ! ». Un enseignement utile pour les formateurs / consultants / animateurs. L’hypothèse de départ de ce groupe était de faire en sorte que les élu.e.s soient co-animateurs de la démarche. Qu’ils décident de l’ordre du jour, des thèmes à aborder et des intervenants à faire venir. De notre côté (Partie Prenante) nous devions lancer la dynamique mais se faire discrètes pour prendre l’hypothèse au sérieux. Nous avons donc dû nous freiner pour ne pas trop structurer en amont, ne pas chercher à trop outiller, en faisant confiance au groupe pour s’auto-alimenter. Et franchement, ce n’est pas si facile ! En tant que consultantes nous sommes habituées à faire en sorte que ces temps de rencontre soient préparés et outillés pour qu’ils soient le plus utiles possible. Finalement, ce qui ressort, c’est que les élu.es ont apprécié ce format « peu cadré ». La présence d’un tiers est jugée nécessaire pour poser le cadre de départ (les quelques règles du jeu – confidentialité, écoute,…-) et scander les différents temps mais sa discrétion est aussi appréciée.

Quelques conseils pour reproduire l’expérimentation…

Pour trouver les élu.e pairs et relayer l’information, s’appuyer sur les réseaux d’élus locaux et sur le bouche à oreille (un bon mail avec une personne relai identifiée marche mieux qu’une série d’invitations qui se perdent dans la boite du secrétariat de la mairie).

La méthode pour reproduire le test: Trouver un élu moteur, définir avec lui son problème. Aller chercher des pairs. Créer une rencontre sur la base d’un format simple (partage des difficultés en sous-groupe puis en plénière).

Auteures :
Manon Loisel (Associée, Partie Prenante),
Sylvine Bois-Choussy (Cheffe de projets, La 27e Région)
Illustration : Jeanne Schelle